Dangerosité VS toxicité 

Souvent amalgamées, la dangerosité et la toxicité sont fréquemment associées, alors que l’une et l’autre renvoient à des définitions distinctes.

Ceci est encore plus vrai dans le monde animal, où les animaux venimeux sont immédiatement catalogués de “super-prédateurs“ dangereux, ce qui les catégorise ainsi automatiquement comme « méchants », sans chercher à mieux comprendre leur comportement.

Le terme « dangerosité » a fait l’objet de multiples débats et controverses. Si l’on s’appuie sur la définition de James Ogloff, Professeur en sciences du comportement médico-légales et directeur du Centre des sciences du comportement médico-légales de l’Université de technologie de Swinburne, celle-ci renvoie à « la notion de comportement physiquement violent dirigé envers soi-même ou autrui, ainsi qu’à la menace que représente un tel comportement ».

Le terme décrit « un acte, une situation où un individu fait courir un risque de préjudice à autrui » (Ogloff, 1995). 

Pour revenir à l’individu, la dangerosité peut aussi découler d’une forme d’agressivité, car il existe un lien intrinsèque entre les deux.

Malgré l’existence de notions quelque peu variables, l’agressivité renvoie toujours à un caractère hostile tourné vers l’extérieur (envers les autres) ou l’intérieur (envers soi-même).

Dans son ouvrage de 1963 intitulé “L’agression“, Konrad Lorenz a défini l’agressivité comme un instinct naturel lié à tous les autres besoins vitaux, qui contribue à la conservation de la vie et de l’espèce. Il n’existe pas de véritable agressivité entre des individus d’espèces différentes : le serpent n’est pas agressif envers la souris. Mais elle existe par contre entre des individus d’une même espèce, sous forme de comportements de menace, de soumission, de domination ou de compétition… Selon Lorenz, c’est un facteur biologique inné, ce qui lui a valu de nombreuses critiques, car sa théorie justifiait la violence et les horreurs qui en découlent.

Un environnement peut être caractérisé de dangereux par sa structure et l’abondance d’une espèce.

Les grandes villes sont souvent considérées comme telles par leur haute concentration de personnes pouvant commettre un crime. Celle-ci étant inévitablement plus importante que dans les provinces.

La rencontre avec un ophidien venimeux ne peut être définie comme dangereuse que dans le cas où l’un des antagonistes ferait preuve d’agressivité envers l’autre. L’homme n’entrant pas dans le régime alimentaire des serpents, le risque d’une attaque ne peut avoir lieu que dans deux situations. La première se caractérise par une agression accidentelle ou l’animal entrera en contact fortuitement avec une personne (il se fait marcher dessus par inadvertance, par exemple). La deuxième situation sera dite induite : le contact sera recherché par l’homme, voulant saisir, manipuler ou agresser volontairement l’animal, ce qui générera un comportement défensif chez l’ophidien qui ripostera en mordant.

Et le venin dans tout cela ?

Le venin est une substance toxique pouvant provoquer un effet délétère sur un organisme ou sur un organe. Sa toxicité relève d’un fait purement scientifique qui repose sur l’étude de ses composants. 

La capacité venimeuse joue deux rôles fondamentaux dans le règne animal : s’alimenter et/ou se défendre.

La toxicité n’est pas synonyme de dangerosité. Certains champignons comme l’Amanita phalloides, dont le poison est un composant de sa chaire, sont létaux. Le temps de latence de l’intoxication à l’Amanite phalloïde est d’environ 6 heures, durant lesquelles les toxines vont se libérer dans l’organisme. L’intoxication a généralement lieu en 3 phases distinctes : une phase de dysenterie (6 à 24 heures), une phase de fausse récupération (24 à 72 heures), et une phase hépatorénale (4 à 9 jours) consistant en une défaillance multisystémique touchant les organes, provoquant des convulsions, suivies par un coma et le décès.

En reprenant la définition d’Ogloff, ce n’est pas le champignon qui est dangereux pour autrui, mais bien le comportement de celui qui le cueille pour le consommer (comportement à risque envers soi-même).

Même doté d’un appareil venimeux, son détenteur ne va pas nécessairement l’utiliser abusivement ni représenter un danger pour les autres. Son utilisation est un choix délibéré, adapté à chaque situation. 

Pour les animaux utilisant leur venin pour se nourrir, celui-ci sera utile pour plusieurs actions comme : l’immobilisation de la proie, la facilitation de la digestion par l’action des certaines protéines, ou encore les deux réunies.

À des fins d’autodéfense, le venin peut être soit : injecté, pulvérisé, ou être présent dans les tissus ou les organes des animaux détenteurs d’une glande productrice. Dans ce cas précis, il jouera un rôle répulsif envers leur prédateur.

Les poissons-pierre du genre Synancea n’ont aucune maîtrise sur leur appareil venimeux. Les treize épines dorsales, les deux premières de la nageoire ventrale, ainsi que les trois premières de la nageoire anale possèdent chacune une glande à venin, qui libérera son contenu lorsque celle-ci pénétrera les tissus du prédateur. La fonction venimeuse chez ce poisson est purement d’ordre défensif et ne sera utilisée qu’en cas d’agression subie. Chez les ophidiens, l’appareil venimeux est totalement contrôlé, jusqu’à la quantité de venin injecté. La dose inoculée en cas de morsure défensive est bien inférieure à celle choisie pour immobiliser et faciliter la digestion de la proie.

En conclusion

Dans le conflit qui oppose l’homme aux serpents, l’unique barrière empêchant de les considérer pour ce qu’ils sont, sans leur attribuer de mauvaises vertus, repose dans la perception que l’on se fait d’eux. 

Maurice Merleau-Ponty, qui a fait de la perception le centre absolu de sa pensée, considérait que « la perception est ce dont tout provient et à quoi tout revient ».

Auteur du livre « Phénoménologie de la perception » (1945), il part de l’idée que la perception est entachée d’un certain nombre de préjugés qui masquent la vérité.

Cette idée, reprise par Christine Tappolet dans son ouvrage « Emotions, Values, and Agency », atteste que les émotions sont des perceptions de valeur. Plus exactement des expériences perceptuelles qui représentent des objets, des événements ou des états de choses comme ayant des propriétés de valeur. Ainsi, nous voyons le caractère effrayant du lion ou dégoûtant du cadavre, et cela ne nécessite pas qu’on dispose des concepts d’effrayant ou de dégoûtant. 

Partant de l’hypothèse que les notions de dégoût et de peur que révèlent les serpents nous ont été inculquées à notre insu, nous sommes en droit de nous demander jusqu’à quel point celles-ci sont vraiment justifiées. Quelle expérience possèdent notre famille, nos proches ou la société, pour avoir tant de répugnance à leur égard ?

Karim Amri
Karim Amrihttp://http://snakebite-ila.com
Directeur Général du Snakebite institute of latin America Herpétologue, diplômé en chimie. Conférencier sur les thèmes de la biodiversité et du biomimétisme.
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